15 Février 2018
Les hôpitaux psychiatriques ont une histoire particulière, mais on en oublie ce que l'on utilise encore aujourd'hui comme moyen de confinement des personnes dites "dangereuses pour eux même" et pour les autres. La psychose, la paranoïa, la démence de type Alzheimer. Ce sont des pathologies qui modifient leur façon de percevoir le monde.
Je ne parlerais ici que de l'expérience que j'ai pu avoir lors d'un stage effectué en M1 de psychologie dans un centre spécialisé pour les personnes ayant des démences de type Alzheimer, mais également lors du stage que j'ai effectué en ESAT il y a un an.
Le premier enfermement dont j'aimerai parler est celui de la pathologie elle-même. Le diagnostic a cette volonté de classer et de définir les caractéristiques précises d'une pathologie. Mais certains diagnostics ont des impacts plus ou moins néfastes sur la vie des personnes et sur les représentations que l'on va construire autour de leur nouvel état.
Effectivement, les maladies ne sont parfois pas que des situations, mais elles perdurent dans le temps et parfois durant toute la vie de la personne. Dés que l'on rentrer dans une institution médicale et que le diagnostic est posé, il est complexe de s'en sortir et de s'en affranchir. Une personne âgée atteinte d'une démence de type Alzheimer qui rentre dans un centre spécialisé ne va pas en sortir aussi facilement qu'on pourrait le croire. La plupart du temps, elle est "placée", prise en charge. La famille qui l'entoure "n'a plus la force de s'en occuper". La maladie est une contrainte, un handicap pour la famille et l'entourage.
Et les institutions qui accueillent ces personnes sont des centres fermés par des codes d'entrée, des badges, pour éviter que les malades ne sortent. Les plus "violents" sont attachés à leurs chaises roulantes par les poignets. Cette image peut vous paraître dénuée de sens ou alors totalement injustifiée, mais lorsque la personne marche toute la journée, d'un bout à l'autre du couloir, jusqu'à l'épuisement, ou alors qu'elle se met à taper sur les autres résidents ou sur les soignants. Que faire ?
Il y a l'enfermement psychique de la maladie qui rend parfois insensible au monde qui nous entoure. On perd la mémoire, on ne sait plus qui on est. Qui sont ces gens qui veulent nous faire croire que l'on est de la même famille ? Qui sont ces personnes qui nous attachent à notre fauteuil et nous disent que c'est pour notre bien ?
Et puis, il y a l'enfermement physique, la contention : mot terrible et nécessaire. Car s'ils sortent, ils pourraient se perdre, devenir SDF parce que leur famille ne les supporte plus et ne veulent plus entendre parler d'eux. Ils sont enfermés pour leur sécurité. Mais il est parfois possible de leur offrir des moments de liberté de promenade dans des parcs, mais ils ne sont plus seuls, toujours accompagnés par des soignants, des ergothérapeutes et des psychologues qui deviennent peu à peu leurs référents et leur famille.
Lorsque la famille vient, le week-end, ils se retrouvent en face d'une personne qui ne les reconnait plus, qui refuse même de les voir. Ils préfèrent les soignants qui sont là pour eux, constamment, qui les lavent, qui les habillent, qui leur donnent à manger. Mais il y a toujours des souvenirs qui restent vivaces. Parfois, ce sont des enfants et parfois des adultes. Alors ils prennent conscience de ça, de leur état et le choc est douloureux. Mais quelques instants plus tard, ils ne s'en souviennent pas.
Mais cet enfermement n'est pas le seul qui est visible. Car quand on n’y est pas confronté directement, on ne peut pas savoir... Il y a l'enfermement social, des représentations. Quand on est une personne porteuse de trisomie 21, il y a le regard des autres qui nous renvoie notre différence, on est isolé dans le bus parce que l'on est différent. On est isolé quand on est en fauteuil roulant devant un escalier inévitable, ou alors, on est isolé quand on est en face d'un bulletin d'impôt qu'il nous est impossible de comprendre.
Il n'y a parfois pas besoin de badge ni de code de sécurité pour se sentir enfermé...
Jérôme Jouret est docteur en sociologie et a soutenu sa thèse sur le monde de l'insertion professionnelle des jeunes travailleurs handicapés : entre segmentation et normalisation le 26 janvier 2024 à l'université de Reims Champagne Ardennes sous la codirection d’Emmanuelle Leclercq et Florence Legendre. Il est titulaire d’un master de science de l’éducation, orientation pratique et ingénierie de la formation dans un parcours Handicap et Besoin Éducatif Particulier, d’une maîtrise en psychopathologie et d’une licence en psychologie. Il a réalisé son mémoire de master sur le thème des besoins de formation des travailleurs d’ESAT en Champagne Ardennes sous la direction de Florence Legendre et en partenariat avec l’UNIFAF Châlons en Champagne. Actuellement en poste au sein de l'éducation nationale en tant que Coordonnateur Conseil MLDS ( Mission de Lutte contre le Décrochage Scolaire).
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