15 Mars 2018
Vous avez déjà vu une personne porteuse de trisomie ? La réponse à cette question est généralement oui. Qu'avez-vous ressenti en le ou la voyant ? Est-ce que vous avez eu peur de ne pas savoir quoi dire ni quoi faire en sa présence ?
C'est vrai que c'est un handicap visible que l'on rencontre tous les jours, mais il y a certains endroits ou on en rencontre peu : l'entreprise, le monde du travail ordinaire. On les imagine le plus souvent dans des ESAT ou des entreprises adaptées. Elles travaillent parfois dans le milieu de la restauration ou de la blanchisserie. Aujourd'hui, j'aimerai vous raconter mon expérience dans une association avec des personnes porteuses de trisomie dans le cadre de mon Master 2. Comment aller au-delà des apparences ? Comment sortir des préjugés initiaux ?
Je les voyais le lundi, le mercredi et le samedi et ce pendant presque un an. Les premiers temps, il y a eu une phase d'adaptation. Ils devaient apprendre à me connaître tout comme je devais apprendre à les connaître. J'étais très intimidé par leurs émotions passionnées. Mais il y avait la structure de l'association qui était là pour leur fournir un cadre social et rassurant.
Mais c'était également un lieu d'apprentissage, le mercredi, il y avait des exercices de mathématique, de français et des jeux. Et le samedi il y avait des débats sur des thématiques actuelles. C'était pendant la période des attaques terroristes en France et la violence des images vues à la TV les avait alors choqués. Alors que la plupart des personnes regardent les informations d'une oreille distraite, en mangeant de la soupe. Ils sentaient l'injustice derrière les mots des présentateurs.
On a tous l'image d'une personne porteuse de trisomie qui s'attache facilement et qui prouve son amour d'une manière explicite qui peut parfois déranger. Ils aiment d'une manière franche, sans à priori, sans concession.
Les mathématiques, le français, la réflexion et l'analyse des situations sociales sont des thématiques extrêmement complexes. Les connaissances de base dans ces disciplines, on les apprend par coeur sans forcément les comprendre. Cela devient automatique et dès que l'on commence à y réfléchir, cela devient beaucoup plus complexe. Il y a des corrélations impossibles à comprendre si on n’est pas habitué.
- Comment ajouter 1 euro et centime alors qu'on apprend par coeur que 1+1=2 ? On passe par le visuel : on montre une pièce de 1 centime et on montre une pièce de 1 euro. L'une est plus grosse. Mais alors 1+1=2 devient 1+1 = 1,01. Ce sont les proportions qui changent parce que l'on n’est pas dans le même référentiel, mais comment faire comprendre cet écart ? C'est la une question que nous essayions de résoudre tous les mercredis.
Le but de cet apprentissage leur permettait alors d'avoir un pied dans le monde ordinaire, pour aller chercher le pain, payer le vendeur, gérer son argent. Parce que leurs besoins sont de cet ordre et plus encore, leur but est d'atteindre une certaine forme d'autonomie, de liberté. Les couples se forment, se défont. La jalousie, la haine et l'amour se mêlent à ce cocktail explosif. Ils gèrent leurs sentiments avec patience et confiance parce qu’au final il est si simple de se réconcilier ?
Et puis, il y a derrière le désir du parent. Que va faire mon enfant dans dix ans alors qu'il aura 18 ans et qu'il aura atteint la majorité légale ? Comment va-t-il trouver du travail ? Comment va-t-il faire face ? Il y a une envie de protection permanente et une envie de fournir le mieux pour son épanouissement personnel. Il faut trouver l'équilibre, être présent, tout en le laissant faire ses propres choix. Alors il faut se battre pour lui et le laisser faire des erreurs.
Je leur ai posé la question de savoir ce qu'ils désiraient faire plus tard et leurs réponses étaient à la fois extrêmement posées et extrêmement créatives. Parce qu'ils veulent vivre de leur passion, que ce soit le chant, la danse, mais ils savent que derrière la passion et le bonheur, il faut pouvoir gagner sa vie. Certains vont en ESAT où ils se plaisent parce qu'ils se sentent "travailleurs". Ils ont des horaires fixes, une rémunération. Certains suivent un cursus scolaire ordinaire avec des adaptations, CAP, BEP avec espoir d'avoir le diplôme.
Certains veulent vivre chez leurs parents le reste de leur vie, continuer dans leur lancée actuelle. Même si parfois ils ne peuvent pas s'exprimer avec facilité, ils développent d'autres types de communication non verbale, des sourires, des froncements de sourcil, des gestes comme la langue des signes. Alors il faut apprendre leur langage sans les prendre pour ce qu'ils ne sont pas. Ce ne sont pas des enfants dans des corps d'adulte comme on peut souvent le voir et l'imaginer.
Jérôme Jouret est docteur en sociologie et a soutenu sa thèse sur le monde de l'insertion professionnelle des jeunes travailleurs handicapés : entre segmentation et normalisation le 26 janvier 2024 à l'université de Reims Champagne Ardennes sous la codirection d’Emmanuelle Leclercq et Florence Legendre. Il est titulaire d’un master de science de l’éducation, orientation pratique et ingénierie de la formation dans un parcours Handicap et Besoin Éducatif Particulier, d’une maîtrise en psychopathologie et d’une licence en psychologie. Il a réalisé son mémoire de master sur le thème des besoins de formation des travailleurs d’ESAT en Champagne Ardennes sous la direction de Florence Legendre et en partenariat avec l’UNIFAF Châlons en Champagne. Actuellement en poste au sein de l'éducation nationale en tant que Coordonnateur Conseil MLDS ( Mission de Lutte contre le Décrochage Scolaire).
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