23 Mai 2018
Derrière ce titre légèrement accrocheur se trouve en réalité un débat particulièrement virulent autour des travailleurs dans le médico-social. Là ou l'abus est parfois une normalité et/ou la normalité devient un abus. La discrimination est un élément qui nous concerne tous, que ce soit directement ou que cela concerne notre environnement proche. Mais une question subsiste, définir et décrire ce qu'est la discrimination et le harcèlement permet seulement de mettre en évidence ce à quoi on peut être exposé.
Mais la discrimination amène au stéréotype qui lui même amène parfois à l'exclusion. De ce fait, par nos pratiques ou nos anciennes pratiques on va alors devenir déviant comme l'explique Samuel Becker dans son livre "Outsiders". Mais la discrimination est-elle une forme de harcèlement plus ou moins normalisé et intégré par notre société ? Un acte à lui seul va-t-il être fondateur de la représentation sociale d'une personne ?
Pour illustrer cette idée, je vais prendre un exemple que l'on retrouve de temps en temps dans la presse. Un ou un enseignant-e est soupçonné d'avoir fait des attouchements dits "sexuels" à un enfant lors d'un voyage scolaire. L'enseignant est écouté par la police, par la directrice de l'établissement, par les parents et se défend d'avoir eu des gestes déplacés. Pour lui, il a simplement réconforté l'enfant en lui caressant les cheveux. Il l'a également allongé sur son lit pendant que lui a dormi par terre, à côté. C'était un voyage scolaire, l'enfant a été traumatisée par ses autres collègues et l'enseignant se trouvait alors dans l'impossibilité de le ou la faire retourner dans sa chambre avec ses autres camarades.
Cet acte va alors être pris en compte d'une manière totalement différente, que l'on se trouve dans la posture des parents, de la police ou de la directrice de l'établissement. J'ai pris ici un cas volontairement "provocateur" et choquant. Mais que dire à un enseignant qui dit aimer ses élèves ? Il a un rôle d'éducation, d'accompagnement, mais a-t-il également un rôle de soutien affectif lorsque ses élèves ont des difficultés ou viennent le voir parce qu'ils rencontrent des problèmes à l'école ?
Être au contact d'enfant pose une véritable question lorsque l'on parle de "limites à ne pas franchir". Si cet homme ou cette femme est reconnu coupable alors elle sera envoyée en prison, cataloguée pour un seul acte et durant le reste de sa carrière. Il ou elle ne pourra plus faire son travail. Voilà pourquoi il est important de savoir fixer des limites à ne pas franchir au risque de dépasser le cadre de ses compétences.
Cet exemple lié à l'enseignement me permet alors d'aborder une autre thématique qui relève de la même idée. Un travailleur handicapé en esat avec une déficience intellectuelle peut se retrouver dans la même situation. Je préfère alors parler de perception de harcèlement parce qu'il va toujours dépendre de la victime et de celui qui en est la cause. Ce qui m'intéresse ici est le fameux "vouloir agir pour son bien" qui est au centre des décisions qui sont prises par l'entourage familial avec l'accord du travailleur handicapé. Comment entendre un chercheur d'emploi en situation de handicap qui ne souhaite pas aller en esat alors que c'est la dernière option qu'il lui reste ?
Il peut y avoir derrière la pression sociale ou familiale. Et oui le vieillissement des aidants est une réalité. L'entourage est en droit de se poser la question : "s'il se retrouve tout seul, va-t-il pouvoir s'en sortir financièrement ? » Voilà pourquoi l'orientation est parfois vue comme un "placement", parce que c'est ça ou "la maison". Je me souviens d'un entretien que j'avais eu avec un travailleur en esat qui me disait qu'il ne voulait pas être ici, mais qu'il n'y avait pas de place ailleurs ou alors c'était trop loin et il n'était pas en capacité de se déplacer pour choisir une orientation qui lui convenait au mieux.
"Il voulait être maçon, mais il travaillait aux espaces verts"
Parfois, on n'a pas le choix, surtout lorsque les informations ne circulent pas comme elles devraient parce que parfois, les meilleurs éléments sont ceux qui devraient aller dans le milieu ordinaire, mais parce qu'ils sont performants, il est difficile de s'en détacher alors qu'il reste tout de même une part de rentabilité dans les ESAT bien moindre que dans le milieu ordinaire, mais présent quand même. Il existe alors une limite qu'on ne veut pas franchir.
Jérôme Jouret est docteur en sociologie et a soutenu sa thèse sur le monde de l'insertion professionnelle des jeunes travailleurs handicapés : entre segmentation et normalisation le 26 janvier 2024 à l'université de Reims Champagne Ardennes sous la codirection d’Emmanuelle Leclercq et Florence Legendre. Il est titulaire d’un master de science de l’éducation, orientation pratique et ingénierie de la formation dans un parcours Handicap et Besoin Éducatif Particulier, d’une maîtrise en psychopathologie et d’une licence en psychologie. Il a réalisé son mémoire de master sur le thème des besoins de formation des travailleurs d’ESAT en Champagne Ardennes sous la direction de Florence Legendre et en partenariat avec l’UNIFAF Châlons en Champagne. Actuellement en poste au sein de l'éducation nationale en tant que Coordonnateur Conseil MLDS ( Mission de Lutte contre le Décrochage Scolaire).
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