24 Juillet 2020
" Il ne va pas prendre ma place quand même ? "
Cette phrase est tirée d'un des entretiens que j'ai pu effectuer lors de l'année de réalisation de mon mémoire de M2 ou je travaillais sur les besoins de formation des travailleurs handicapés en ESAT. C'est lors d'une rencontre informelle à la cantine ou mangeais avec les travailleurs handicapés, mais également parfois avec les moniteurs d'atelier. Je parlais avec un moniteur d'atelier autour de la responsabilité données aux travailleurs handicapés et je me souviens qu'il parlait davantage d'usagers que de travailleurs.
Il existait alors deux représentations quand au travail effectué par les travailleurs handicapés en ESAT, la représentation des travailleurs et la représentation des moniteurs d'atelier. Mais il n'existe pas de promotion pour les travailleurs d'ESAT, les évolutions de carrière se font en changeant de secteur d'activité. Il n'existe pas non plus de droit de grève car, les travailleurs d'ESAT ne font pas partie du code du travail.
La situation pourrait paraître injuste, mais il semble important de rappeler plusieurs choses. Pourquoi aller travailler en ESAT ? Pourquoi le travail en milieu ordinaire devrait-il être la norme ? Est-ce que cette protection et parfois cette surprotection est-elle justifiée ?
Pourquoi tout simplement ne pas vouloir avec les travailleurs handicapés plutôt que pour eux ? Ces conditions, cette surprotection ne nous semble pas adapté, mais en réalité elle est nécessaire au maintien des personnes les plus fragiles physiquement que psychiquement.
La question à se poser n'est pas seulement liée à ce que l'on appelle l'injustice sociale, les inégalités socio-culturelles, professionnelle, mais également autour des conditions de travail. Pourquoi le milieu professionnel ordinaire semble si complexe et en tension permanente ? Parce que l'accent est porté sur la rentabilité, la compétitivité, la concurrence, mais pas sur les conditions de travail, sur le bien-être au travail qui sont pourtant au cœur du maintien en emploi.
Le cœur de la problématique de l'insertion professionnelle est lié à ces conditions de travail non adaptées, dégradées et c'est également pour cela qu'il existe un turn-over massif, qu'il existe de moins en moins de CDI mais de plus en plus de CDD. Et il est important de se rendre compte d'une chose, c'est que les conditions de travail en ESAT sont parfois meilleures qu'en milieu ordinaire de travail. Les préoccupations principales de ces structures ne sont pas les mêmes, il y a toujours un versant médico-social qui manque cruellement aux entreprises ordinaires.
Il existe néanmoins des exceptions, mais elles sont souvent dues à une sensibilisation personnelle des chefs d'entreprise au handicap, à la pauvreté ou aux inégalités sociales. C'est également autour des mentalités, des stéréotypes, qu'il faut travailler avec les chefs de structures ordinaires, les salariés, les enseignants. Au même titre qu'il est important de connaître les limites de chacun pour pouvoir les accompagner au mieux.
Pourquoi vouloir faire le forcing du milieu professionnel ordinaire, de l'école ordinaire alors que ces structures sont encore loin d'être prêtes ? Et cela au risque de mettre de nombreux enfants ou jeunes adultes dans des situations d'exclusions encore plus violentes ? C'est un manque d'informations, de formations qui est mis en avant et que ce soit à l'université, dans les ESPE ou dans les formations de manager, il n'existe que peu de sensibilisations à ce type de secteur et ce type d'activité.
Alors que vous soyez, chef d'entreprise, formateur, enseignant, il est important pour vous de vous poser la question suivante : "Est-ce que les conditions de travail que je propose sont-elles optimales ? et si non, que puis-je faire pour les améliorer ? Parce que ce sont là les clefs de la réussite professionnelle."
Jérôme Jouret est docteur en sociologie et a soutenu sa thèse sur le monde de l'insertion professionnelle des jeunes travailleurs handicapés : entre segmentation et normalisation le 26 janvier 2024 à l'université de Reims Champagne Ardennes sous la codirection d’Emmanuelle Leclercq et Florence Legendre. Il est titulaire d’un master de science de l’éducation, orientation pratique et ingénierie de la formation dans un parcours Handicap et Besoin Éducatif Particulier, d’une maîtrise en psychopathologie et d’une licence en psychologie. Il a réalisé son mémoire de master sur le thème des besoins de formation des travailleurs d’ESAT en Champagne Ardennes sous la direction de Florence Legendre et en partenariat avec l’UNIFAF Châlons en Champagne. Actuellement en poste au sein de l'éducation nationale en tant que Coordonnateur Conseil MLDS ( Mission de Lutte contre le Décrochage Scolaire).
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